Inteview de Foued Bellali
   

Myriam Katz


Foued Bellali, enfant d’immigrés, a quitté La Louvière pour Bruxelles où il a créé l’association 2 Bouts pour apprendre aux jeunes à vivre ensemble et pas l’un à côté de l’autre.



 

« La rencontre ne résout pas tout, mais il est plus difficile de haïr quelqu’un qu’on connaît » - © Bea Uhart

© Bea Uhart

La Louvière, début des années 1980. Des enfants jouent dans la rue. Ils sont Italiens, Espagnols, Marocains… Ils rient, ils crient et ils agacent profondément certains passants qui se répandent en invectives : « Vous venez manger le pain des Belges ». Le petit Foued, 12 ans, répond naïvement : « Mais non, chez moi, c’est ma mère qui fait le pain ! ». « Je ne comprenais pas », se souvient-il. Trente ans plus tard, avec son asbl 2 Bouts, fondée en 2008, Foued travaille à mettre ensemble les individus pour leur permettre de se découvrir et de participer à la vie commune.

La première vie de Foued Bellali démarre à Bois-du-Luc, dans les corons de La Louvière. Après un passage à Genk, à l’usine Ford, le père, venu tout droit de sa campagne marocaine, est envoyé au fond de la mine du Quesnoy, puis dans celle du Roton, à Farciennes. Elle sera la dernière à fermer ses portes. Nous sommes en 1984 : « Je me souviens de mon père arborant fièrement sa médaille au retour de la cérémonie qui clôturait définitivement l’histoire des charbonnages en Belgique. »

Vous proposez quoi, Monsieur Bellali ?

Foued fait ses classes sans trop d’encombres jusqu’à la 5e primaire. Les points suivent, même si l’enfant est - comment dire ? - très, parfois un peu trop vivant. « En 5e, l’instit me donnait des consignes tellement abstraites, il m’imposait des exercices sur des choses si improbables que je ne comprenais pas ce qu’il me voulait. Et quand je demandais des explications, il me répondait que j’étais trop turbulent. »
Pour le jeune Foued, l’école perd alors de son sens : pourquoi devoir rester assis si longtemps, pourquoi autant de travaux à réaliser ? Le père est convoqué en fin de primaire pour s’entendre dire que son fils doit s’orienter vers le professionnel. Pour un papa analphabète, la parole d’un professeur est sacrée. Mais Foued se rebiffe, décroche un compromis : une inscription aux Arts et Métiers.
La 1re année se passe sans trop de soucis. Vient la 2e où il se retrouve en électricité. « Je ne dénigre pas cette orientation, sauf si c’est le jeune qui en fait le choix. Moi, ce n’était pas le mien ». À partir de là, le gamin n’en fout pas une rame, brosse allègrement les cours. Les écoles se succèdent, les bêtises aussi (ah, les filles de l’école mixte !) et avec elles, les injustices, les injures racistes : « Des enseignants traitaient Massimo de spaghetti et moi, de marchand de tapis ».
Il atterrit finalement chez sœur Andrée, directrice d’une ultime école dans la région où il n’avait pas encore mis les pieds. Elle ne doute pas de son intelligence, mais décèle vite un problème de comportement. « Qu’est-ce qui ne va pas », interroge-t-elle ? Cette question anodine déclenche chez Foued une gigantesque émotion : « C’était la première fois de ma vie qu’un adulte me posait cette question. Je lui ai répondu qu’on n’avait jamais la parole. Elle me mit alors au pied du mur en me posant cette question : ‘Vous proposez quoi, alors, Monsieur Bellali ?’. J’étais scié. »
Foued qui connaît bien les droits de l’homme et les règles démocratiques grâce à ses leçons, plaide pour une école plus démocratique avec une instance qui représenterait les élèves, une école plus chaleureuse aussi, avec des moments de convivialité.
« Je vous inscris jusqu’à la fin décembre, conclut la directrice. On évaluera ensuite votre parcours. D’ici là, je vous laisse quatre mois pour mettre en place vos propositions ». Foued terminera là son cycle secondaire et fera des études supérieures par la suite.

Je suis revenu en ne voulant plus haïr 

La vie de Foued est faite de rencontres providentielles, à l’image de celles avec sœur Andrée, mais aussi avec Boubou, le prêtre-ouvrier. Ce dernier a eu l’intelligence de rassembler les gamins du quartier en les intégrant au mouvement de la JOC (Jeunesse Ouvrière Chrétienne) où ils apprennent à utiliser d’autres moyens que la violence pour s’exprimer. C’est là que Foued et ses copains vivent leur première heure de gloire : « On a organisé une conférence de presse où l’on dénonçait le racisme au quotidien. Ça a marché du tonnerre. Déjà à l’époque, on nous traitait de terroristes. »
Il apprend aussi à s’indigner sans passer par les coups lorsqu’il accompagne son papa à la commune, rappelle à l’employé qui tutoie et interpelle son paternel par son prénom, que ce dernier a un nom de famille et qu’il n’est pas son pote ! « Mon père me soufflait ‘chut’ dans l’oreille, qu’il n’était pas dans son pays. Je lui répondais : ‘Moi, si !’ »
Providentielles, ces rencontres ? Pas sûr ! Foued a très vite compris que rien ne tombait du ciel et a toujours saisi la main qu’on lui tendait. Ici en Belgique comme au Québec où il a peut-être passé ses meilleures années. Dans le Grand Nord, il croise sur son chemin des personnes qu’il n’avait encore jamais vraiment rencontrées. C’est le déclic.
Déconstruction et reconstruction. Foued voit exploser tous ses clichés bien fossilisés dans sa tête. En manifestant à côté « d’un mec hyper sympa qui partageait toutes mes idées » et qui s’appelait Simon Lévy. En fréquentant des filles qui défendaient à fond la cause féministe. En se liant à des « bourgeois» avec lesquels il passait de longues heures à rêver d’un monde meilleur.
Lui, pour qui le Juif était un ennemi héréditaire, le bourgeois un nanti qui piétine les plus pauvres et la féministe une empêcheuse de tourner en rond, découvre avec stupeur qu’il rejetait la moitié de l’humanité… sans l’avoir jamais rencontrée. De ce long parcours chaotique s’éveillera une conscience que Foued mettra au service d’un projet : 2 Bouts, l’association qui permet aux personnes d’aller l’une vers l’autre.

Eux, c’est nous !

Tout ce qu’il a appris au cours de sa vie, Foued le met en pratique et construit une méthode portée quotidiennement par son association 2 Bouts. Formations, animations, ateliers vidéo pour les jeunes comme pour les profs, les assistants sociaux, les éducateurs… autant de moyens pour encourager les jeunes à s’interroger sur ce qu’ils peuvent mettre personnellement en place pour sortir de la situation dans laquelle ils se trouvent. Que ce soit avec cette jeune fille qui se plaint d’être harcelée par des jeunes gens (« D’accord, tu te sens victime, mais fais-tu le choix de rester dans cette position ou décides-tu d’agir ? ») ou ces jeunes qui, avant de choisir le thème d’une vidéo, établissent des règles de vie coulées dans une charte pour pouvoir mieux débattre par la suite sans se bouffer le nez.
L’association 2 Bouts a plus d’un tour dans son sac pour faire réfléchir les jeunes, pour susciter leur esprit critique et le doute à partir de leurs propres ressources et les mener ainsi à une citoyenneté active.
Heureux, Foued ? « Oui… mais frustré aussi », avoue-t-il en parlant de son pouvoir subsidiant qui met 2 Bouts dans une case alors que l’association travaille transversalement et devrait porter plusieurs étiquettes plutôt qu’une seule. Des règles qui empêchent Foued d’entrer en direct dans les écoles sauf s’il crée des projets entre les associations de quartier et l’établissement scolaire. Un travail de titan…

Propos recueillis par Myriam Katz

Myriam Katz

     
 

Le ligueur

Publié le 31 Mars 2015

 
     

     
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